Grâce à l’amiral Antoine Thévenard, nous disposons d’un inventaire des phares allumés dans le monde à la fin du XVIIIe siècle : il en existe cent trente, pratiquement tous européens. Les littoraux des royaumes du Danemark et de Suède commencent à s’éclairer. Mais avec cinquante-quatre feux en 1800, les côtes anglaises sont de loin les plus illuminées du monde. La quinzaine de feux français fait pâle figure, malgré la notoriété internationale de Cordouan : les quelques lumières à l'entrée des ports du Royaume (Dunkerque, Calais, La Rochelle, Biarritz, Port-Vendres, Sète, Port de Bouc) les tours isolés construites par Vauban (Fréhel, Le Stiff, Oléron, les Baleines) ou la chambre de commerce de Rouen (L'Ailly, La Hève, Barfleur) et le feu allumé sur l'abbaye de Saint-Mathieu ne peuvent rivaliser avec la densité des côtes anglaises.

En septembre 1792, la responsabilité des phares, amers et balises est confiée à la Marine. Les droits de feu sont supprimés, à l'exemple de la jeune démocratie américaine. C’est une rupture fondamentale dans l’économie et la gestion de l’éclairage des côtes, qui devient un bien public gratuit. En mars 1806, un décret impérial transfère les phares de la Marine au ministère de l’Intérieur, à l’exception des feux du Stiff et de Saint-Mathieu. Ce sont désormais les ingénieurs des Ponts et Chaussées qui prennent les choses en main, en lançant une vaste enquête sur ce réseau : état du bâti, approvisionnement en huile, régularité de l’allumage. Créé en 1716, doté d’une École en 1747, le corps des Ponts voit ses compétences plutôt « terriennes » s’étendre aux travaux maritimes sous la Révolution et l’Empire.