« On ne connaît pas assez ce respectable personnage, ce martyr des mers ».

Ainsi commence les quelques lignes consacrées à Cordouan par Jules Michelet (1798-1874) au chapitre « les phares » de La Mer (1861). Que vient faire Cordouan sous la plume de ce grand témoin des mutations politiques, économiques et culturelles du XIXe siècle ? Titulaire de la chaire d'histoire au Collège de France, auteur d'une magistrale Histoire de France, Michelet tombe en disgrâce après le coup d’État de Napoléon III. Il continue à écrire non seulement de l'histoire, mais également des livres plus surprenants : L'Amour (1858) ou La Femme (1859). En juin 1859, Michelet s'installe en villégiature à Saint-Georges-de-Didonne. Il y reste six mois. Objet d'une contemplation quotidienne, Cordouan devient sa « société habituelle ». Michelet met en chantier La Mer, publié deux ans plus tard. Cet ouvrage encyclopédique évoque toutes les sciences de la mer, de la genèse des océans à la biologie des espèces qui les habitent. Michelet évoque également les activités humaines en mer sur le littoral, dont les bains de mer. Il s'intéresse à cette « classe des loisirs », selon l'expression du sociologue américain Thorstein Veblen, qui fait le succès des stations balnéaires, dont celles de la côte royannaise.

Michelet ne se contente pas de la vue de Cordouan et des anecdotes collectées auprès des populations maritimes locales. Ignorant Alexandrie, il fait du « blanc fantôme » de l'estuaire le point de départ d'une analyse historique et visionnaire de la multiplication des phares sur les côtes du monde. Évoquant avec lyrisme « le rayon de Fresnel », Michelet met en avant le rôle historique de la France dans l'éclairage et la construction des phares. Il est surtout l'un des premiers à percevoir, à la lumière de Cordouan, la dimension symbolique et culturelle des phares, « ces feux amis, vrai foyer de la vie marine » auprès desquels « on aime à s'asseoir ».